Vous êtes portugais, ayant grandi en France, et vous avez choisi il y a 10 ans de retourner dans votre pays d’origine pour y produire du vin. Pouvez-vous nous expliquer le cheminement pour y parvenir ?

En fait, je suis français d’origine portugaise. Je suis né et j’ai grandi à Paris, j’ai fait des études d’ingénieur à l’Ecole Centrale, puis j’ai travaillé sur Paris une quinzaine d’années dans le conseil en Supply Chain Management pour de grands groupes français et internationaux. Le vin est devenu entre-temps une passion qui a débuté avec des dégustations de grands vins français avec des amis sur Paris. Par la suite, je me suis naturellement intéressé aux vins portugais du fait de mes racines familiales. J’ai alors découvert que la région de mes grands-parents au Portugal, le Dão, était la plus ancienne AOC du pays (1908) et qu’il y avait là un potentiel naturel pour produire de grands vins de garde, sur la finesse et la fraîcheur, et ceci en blanc et en rouge. Les vieilles vignes centenaires, complantées de 40 cépages autochtones, se trouvaient dans un état d’abandon progressif. J’y ai vu une opportunité pour changer de vie et tenter de vivre de ma passion pour le vin.

Vous êtes installé dans le Dão, avec notamment des vignes de plus 50 ans. Pouvez-vous nous présenter cette appellation et nous en dire un peu plus sur votre vignoble ?

Le Dão est caractérisé par la fraîcheur et la finesse de ses vins et par sa capacité à produire des vins de garde. Ceci résulte en grande partie de l’acidité naturelle des vins. Cette acidité provient du terroir et du climat. Nous sommes sur des sols d’arènes granitiques en altitude, environ 500m. La région est enclavée entre plusieurs chaines montagneuses, à l’Ouest, la Serra do Buçaco protège des vents humides venant de l’océan atlantique, à l’Est, la Serra da Estrela (plus haute montagne du pays, culminant à 2000m) protège des vents chauds continentaux en provenance d’Espagne. Il en résulte un climat très particulier, froids et pluvieux l’hiver, instable au printemps, puis l’été chaud la journée et frais la nuit, avec de grosses amplitudes thermiques entre jour et nuit (environ 15 °C d’amplitude). Cette amplitude est le facteur clé pour comprendre le Dão, chaque nuit il y a une pause dans le processus de maturation, ce qui permet de garder des niveaux d’acidité naturelle relativement élevés dans les moûts si on compare au Douro par exemple.

António Madeira

Mon vignoble a été créé au fil de l’eau depuis 2010. Au début je n’avais pas de vignes ni de chai, uniquement des idées.
J’ai pu reprendre en fermage des micro-parcelles dans 7 villages sur le piémont de la Serra da Estrela (certaines mêmes en hauteur dans la montagne). Elles ont entre 50 et 120 ans et on y trouve 30 à 40 cépages rouges et blancs complantés.
A l’époque de nos grands parents tout le monde faisait son propre vin, pour sa consommation personnelle, donc tout le monde avait sa petite parcelle de vigne. Ces personnes arrivent à un âge (60, 70, 80 ans) où ils n’ont plus la santé pour continuer à cultiver leur vigne, mais ça leur fait mal au cœur de voir la vigne disparaître. Je leur propose donc de me louer les parcelles, ainsi elles ne disparaissent pas, ils reçoivent un loyer annuel et pour ma part cela me permet de cultiver des raisins pour faire mes vinifications. Un deal gagnant/gagnant où tout le monde trouve son compte. Désormais je travaille 25 parcelles pour une surface totale de 8 hectares.
Nous cherchons à préserver les vieux cépages et les vieux clones de l’érosion génétique fortement accélérée ces trente dernière années.
Mon approche à la vigne et au chai s’inspire de la Bourgogne. Pour résumer, je cherche à appliquer ces méthodes de travail bourguignonnes sur les terroirs du Dão, pour exprimer le terroir de chaque micro-parcelle.
La plupart des vignobles ne sont pas mécanisables, plantés en haute densité. Nous les travaillons avec des méthodes ancestrales, à la pioche, au cheval, comme à l’époque des anciens. Il y a une dimension ethnologique dans notre travail.
A cela, vient s’ajouter une touche de modernité avec des méthodes culturales biodynamiques. Le but est de stimuler la vie des sols, de favoriser une activité microbienne intense. Ceci va permettre ensuite au chai de vinifier le plus naturellement possible (avec les levures indigènes), pour retrouver dans le vin les arômes du paysage de la Serra da Estrela, le granite, les herbes aromatiques, les fleurs, les résines de pins, etc… Nous n’utilisons aucun intrant œnologique hormis de faibles doses de sulfites, nous ne collons et ne filtrons pas pour ne rien perdre des qualités gustatives des vins. Je cherche à produire des vins salivants, intenses, très purs, minéraux, avec de la profondeur. Mes principales sources d’inspirations dans les méthodes de travail sont des gens comme Henri Jayer, Jules Chauvet, Anne-Claude Leflaive, Pierre Overnoy, Thierry Allemand ou encore Richard Leroy, pour n’en citer que quelques uns.

Il se dit que vous êtes l’un des vignerons du renouveau du Dão et que vous avez une vision différente de ce qui se faisait avant. Que recherchez-vous dans vos cuvées et comment y parviennez-vous ?

Au cours des dernières décennies, le Dão, mais aussi le Portugal dans son ensemble, s’est concentré à produire des vins typés Parker, issus d’une agriculture conventionnelle et d’un interventionnisme œnologique exacerbé. En somme, des vins technologiques, faits pour plaire au plus grand nombre, mais fortement standardisés. Les vins du Dão ont ainsi perdu leur identité centrée sur la finesse et la fraicheur, pour copier des régions produisant des vins sur le sucre, la sur extraction, sur maturité, etc…
Pour ma part, mon travail vise à révéler dans le verre l’identité originelle du Dão. Ceci à travers les vieux cépages, les vieilles vignes (du XIXème siècle pour les plus anciennes), mais aussi grâce au travail des sols et des vignes en bio/biodynamie, des vinifications naturelles et douces à la bourguinonne (infusions, très peu d’extractions, macérations préfermentatives) et des élevages longs.

Nous proposons 3 cuvées : ‘Tinto’, ‘Vinhas Velhas’ et ‘A Centenaria’. Quelles sont leurs identités et caractéristiques ?

Chaque parcelle que je cultive est vinifiée et élevée en fûts séparément, comme pour les crus bourguignons. Puis après un an et demi d’élevage nous assemblons la plupart de ces vins dans Vinhas Velhas (« Vieilles vignes »). Il s’agit donc du vin le plus représentatif de mon travail.
Quelques parcelles, comme « A Centenaria » (« La centenaire ») sont quant à elles mises en bouteille séparément. A Centenaria est donc l’expression d’un seul cru, une parcelle de plus de 120 ans, dotée d’une identitité singulière permettant d’approcher ce qu’était le Dão au XIXème siécle.
Tinto (« Rouge ») est ma cuvée la plus abordable. Les raisins sont issus essentiellement d’achat de raisins aux petits vieux du village, qui continuent encore à travailler leurs petites vignes. Mon cahier des charges est de ne pas utiliser d’herbicides ou de produits de synthèse à la vigne. Les vignes sont pour la plupart anciennes, mais aussi relativement jeunes pour certaines (15/20 ans). Au chai, le travail est identique à celui que je réalise sur mes propres raisins. Ce vin permet donc d’approcher mon travail à travers une cuvée un peu plus abordable au niveau prix.

Une dernière question, nous nous demandions pourquoi vous figuriez sur le site de Dirk Niepoort ?

Dirk Niepoort a été mon premier client dans le passé. Il a distribué mes vins au Portugal au début de cette aventure. Je l’ai aussi aidé à trouver des vieilles vignes pour son installation dans le Dão. Nous ne travaillons plus ensemble directement, mais nous sommes restés amis.