Álvaro Palacios est l’un des pionniers de la renaissance du vin en Europe. Il a été un acteur clé dans la « redécouverte » du Priorat en 1989 puis, 10 ans plus tard, il a fait de même à Bierzo avec son neveu Ricardo «Tintín» Pérez Palacios. Ensuite, c’était peut-être inévitable, il est rentré chez lui et a repris la cave familiale (Palacios Remondo) à Alfaro au sud-est de la Rioja. Pour la première fois, je présente l’ensemble de la gamme dans un seul article.

Álvaro Palacios fait partie des (très rares) viticulteurs espagnols à vendre ses vins en primeurs, avant qu’ils ne terminent leur élevage et soient mis en bouteille. Ce qui donne aux consommateurs la possibilité de les payer (à un meilleur prix) un an (ou plus) avant de les recevoir. J’avais donc prévu de goûter des échantillons de barriques du nouveau millésime pour donner un premier aperçu des vins, mais le confinement dû au COVID-19 m’a fait changer d’avis. Je n’aime pas normalement goûter et noter les vins non finis, mais si je le fais, je veux m’assurer que c’est dans des circonstances contrôlées. Cela signifie goûter les vins à la cave, ou au moins avec le producteur, car il s’assure que le vin est conforme aux normes et il déguste le même vin avec vous. Recevoir un échantillon de fût et le déguster par vous-même (vous pouvez déguster en visioconférence avec eux, mais vous ne goûtez pas exactement le même vin) est risqué, car vous ne savez jamais si le vin est conforme et représentatif du millésime. Les échantillons de barrique sont souvent instables et peuvent s’oxyder en cours de route, car ils peuvent ne pas être suffisamment protégés et peuvent ne pas être notés à leur juste valeur. Avec un peu de chance, en 2021, je pourrai goûter avec les producteurs et livrer pour vous les premières évaluations des vins d’Alvaro Palacios. Pour l’heure, ils m’ont expédié leurs vins en bouteilles pour la première fois, et nous avons dégusté ensemble pendant deux séances de vidéoconférence, discutant des millésimes dans chacune des zones, Bierzo, Priorat et Rioja, ainsi que chaque vin individuel. La plupart de ce que j’ai goûté était des vins de 2018, un millésime qui promet de devenir un classique avec le temps. C’est un retour aux vins avec plus de fraicheur dans les trois régions, ce qui est inhabituel, car le temps peut être très différent de Bierzo au Priorat. 2018 est une année très complète et homogène qui a fourni des conditions parfaites pour produire des vins qui expriment leur lieu de naissance, qui ont de la concentration et de la puissance, de l’élégance, de la finesse et de la fraîcheur.

Je pense qu’il est important de mentionner que, non seulement la famille Palacios a conçu et conduit des projets de grande qualité, mais ils ont également largement contribué à des améliorations générales dans les Appellations d’Origine où ils travaillent. L’histoire se répète, et c’est aussi comme cela que les changements ont commencé au Priorat, encore une fois avec son partenaire et complice René Barbier du Clos Mogador. ils ont oeuvré pour des changements dans la règlementation pour une approche plus locale des vins, en promouvant le site spécifique des vins dans une structure pyramidale inspirée de la classification bourguignonne, dont j’ai longuement parlé dans le passé en couvrant les vins du Priorat. Ils ont fait un excellent travail pour définir des lieux, dénicher des noms presque oubliés, les délimiter et en définir les frontières, en documentant tout et même en dessinant des cartes des différents « parajes » (lieu-dit) ou emplacements officiels dans chaque village.

Travailler sur le Priorat était assez facile (je suis sûr qu’ils ne le pensent pas!), car Álvaro Palacios n’est pas seulement le leader en qualité. Il est aussi l’un des plus grands, sinon le plus grand, producteur de la région. Il a donc tout le poids et l’influence nécessaire pour conduire le changement.

Bierzo était la région suivante (cette fois en parallèle avec le Priorat), où la détermination et le dévouement de Ricardo ont été essentiels pour convaincre les principaux acteurs d’adopter une approche similaire de délimitation et de classification des terroirs. Les nouvelles règles pour Bierzo sont maintenant approuvées par l’Union Européenne. L’avantage est que cela pourrait également être étendu à d’autres appellations de Castille et León, la région où se trouve le Bierzo. De même, le règlement du Priorat pourrait également être appliqué dans d’autres appellations de la Catalogne. La Rioja est beaucoup plus complexe, car c’est une appellation beaucoup plus grande avec de nombreux acteurs influents et des politiques et des intérêts divergents. Dans cette région, Alvaro Palacios n’a pas le poids nécessaire pour conduire le changement lui-même et obtenir une majorité. Les changements paraissent être presque impossibles, mais voyons ce qui se passera dans les prochaines années …

Álvaro Palacios

Le nom de Palacios est devenue une marque utilisée pour les vins du Priorat où elle est bien établie et c’est une marque forte. La gamme de vins s’est progressivement étoffée au fil des années et, en 2018, il a introduit un nouveau vin, une sélection parcellaire d’une partie du vignoble de Finca Dofí qui recoupe trois lieudits (parajes) différents, l’un d’eux, La Baixada, donne son nom au nouveau vin.

Ses 2018 sont impressionnants sur toute la gamme. C’était un retour à des conditions plus «normales» avec une météo plus classique. Palacios appelle cela une «réunion», avec de la neige en hiver, qui, selon lui, semble toujours apporter quelque chose de magique, plus de pluie au printemps, puis l’été méditerranéen sec avec un moment particulier pendant la récolte; de fortes pluies étaient prévues, il a donc décidé d’attendre et de laisser le temps aux raisins de les absorber, ce qui a entraîné une baisse des degrés d’alcool, et les vins ont également plus d’acidité. 2018 a quelque chose de 2010, 2012 et 2016, mais avec plus de finesse et c’est une version plus puissante mais plus élégante de 2016 ; c’est le millésime le plus élégant de ces dernières années pour Palacios. Il y a un peu plus de carignan dans la plupart des vins de cette année. Camins del Priorat est le premier embouteillage du millésime 2019 et donne aperçu du millésime qui semble être une année unique, très concentrée, une version chaude et sèche du déjà unique 2013.

Descendientes de J. Palacios

Je l’ai dit plusieurs fois auparavant, mais il faut parfois se répéter: Descendientes de J. Palacios est le projet viticole le plus cohérent, le plus émouvant et le plus passionnant d’Espagne. Ce sont les premiers vins du millésime 2018 de Bierzo que je goûte, un millésime très attendu dans la zone, qui est souvent décrit comme un retour à des conditions «normales». Cela signifie un printemps modérément humide et doux, assez pluvieux vers la fin avec des conditions plus sèches et plus méditerranéennes en juillet et août. Il y a eu 950 mm de précipitations totales, et les températures étaient légèrement inférieures à la moyenne. Ils ont eu un hiver neigeux, ce qu’ils n’avaient pas connu ces dernières années, et le temps n’a changé que vers le 10 juin, populairement connu sous le nom du « 40 mai », lorsque les conditions estivales arrivaient autrefois. Les Descendientes de J. Palacios de 2018 sont les meilleurs vins jamais produits depuis qu’ils ont posé leurs pieds à Bierzo en 1999. Pour Ricardo P. Palacios, il y a trois années mythiques: 2001, 2012 et 2018. Ce sont des années qu’il a décrit comme étant complètement Bierzo, « combinant la fraîcheur de l’Atlantique (forêt humide, fraîcheur salée, plus d’éclat, plus de tranchant (même si les vins sont concentrés) et l’été méditerranéen (violettes, cistes et cerises, le tout enveloppé de volupté). Lorsque l’on discute du millésime à venir (2019) et que l’on revient sur les millésimes récents, il y en a quelques-uns qui ont un caractère très clairement défini, comme 2015 qui était plus méditerranéen et 2014 beaucoup plus atlantique (climat plus frais). 2019 pourrait être plus continental, plus serré, un peu comme 2010 et 2011.

Les vins se sont améliorés au fur et à mesure que les connaissances et la compréhension de Descendientes de J. Palacios sur leurs vignobles se sont développées. Plus récemment, la nouvelle cave, qui donne aux vinificateurs plus d’espace, a particulièrement bénéficié au « Pétalos del Bierzo ». Ricardo pense que leurs 20 ans dans la zone pourraient être divisés en trois époques pour les vins: 1999 à 2003 ont été les premières années, la découverte de la zone, 2004 à 2009 ont été des années plus difficiles, apprendre à comprendre le vignoble mais aussi apprendre à ne pas en vouloir trop. À partir de 2010, ils se sentent vraiment intégrés dans le Bierzo et gèrent les vignobles pour qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes. Comme je l’ai mentionné précédemment, une nouvelle classification des vins et des vignobles est en place pour l’appellation. Les nouvelles réglementations («pliego de condiciones ») ont été approuvées par Bruxelles, et les vins, à partir de 2018, pourront porter les nouvelles appellations suivantes:

DOP Bierzo, vins régionaux de différents villages

Vino de Villa, vins d’un seul village

Vino de Paraje, vin d’une zone, d’un lieu-dit ou lieu désigné dans un village. Il n’y a pas d’équivalent exact du concept de « paraje » dans la classification bourguignonne. Un « paraje » est généralement une zone plus grande; je les appellerais « quartiers » ou « voisinages » si la campagne pouvait être divisée comme une ville.

Viña Clasicada, un vignoble classé, équivalant au 1er cru bourguignon

Gran Viña Clasicada, un grand vignoble classé, équivalent au « Grand cru » bourguignon

Ils ont identifié et répertorié tous les villages avec leurs paroisses correspondantes ainsi que tous les « parajes » de chacun des villages.
En ce qui concerne les vignobles classés, les producteurs doivent obtenir une certification. J’en dirai un peu plus sur tout cela dans le prochain article sur Bierzo, car il y a beaucoup de changements, tels que les limites de l’appellation, l’interdiction de l’irrigation pour les vins qui portent l’appellation, sauf pour les deux premières années de l’implantation de nouveaux vignobles, les rendements maximaux, les cépages autorisés et style de vins pouvant être produits … J’explique tout cela ici parce que Ricardo a été le moteur fondamental des changements, et je sais qu’il a personnellement écrit une partie substantielle de toutes ces nouvelles règles lui-même, donc il mérite le crédit. Bravo Ricardo !

En 2018, Corullón est déjà classé « Vino de Villa », tandis que Moncerbal et Valdafoz sont « Vino de Paraje », et les autres sont en cours de certification. Et je dois mentionner, La Faraona 2018, un vin qui mérite le meilleur score possible. Ce vin, souvent mystérieux et en constante évolution, provient d’un vignoble appelé El Ferro, une parcelle très spéciale de seulement 0,55 hectare qui contient probablement 8% de raisins blancs des variétés godello et Jerez. Les vignes ont aujourd’hui 72 ans et sont situées sur une pente très raide orientée sud-est entre 800 à 860 mètres d’altitude. Il y a une faille tectonique qui traverse la parcelle et apporte un mélange inhabituel d’éléments. Les sols sont très peu profonds et la roche- mère se trouve à environ 30 centimètres au-dessous du sol de couverture.
Ce vin est le plus atlantique des vins du millésime 2018; il a de la fraîcheur et de la légèreté mais aussi beaucoup d’énergie. Il possède une grande pureté, un très fort sentiment d’appartenance, et il « encapsule » les pentes humides de Corullón comme aucun autre. Il n’y a rien de moins étonnant ici. Ricardo m’a dit que c’était le seul millésime de La Faraona où le vin était harmonieux de bout en bout, depuis le raisin lui-même, ce qui me laisse penser que le vin va être bon tout au long de sa vie. C’est différent du 2014, qui était un millésime plus frais mais c’est tout aussi bon.

Palacios Remondo

Álvaro Palacios en su finca « La Montesa » en Alfaro. La Rioja

Álvaro Palacios est fondamentalement un homme de vin rouge et, parmi ses trois projets, il n’y a qu’un seul vin blanc. Il s’agit du Plácet, produit dans la Rioja, et conçu par son frère Rafael, qui est aujourd’hui l’un des meilleurs producteurs de vin blanc de Valdeorras. Le domaine familial Palacios Remondo à Alfaro est le plus grand des vignobles d’Álvaro Palacios. C’est celui qui a la plus longue histoire (il a été créé par son père en 1945), et c’est le plus traditionnel et celui qui a le moins de références. C’est aussi celui où il y a la plus grande inertie et le plus de difficulté à effectuer des changements.

L’ensemble des 100 hectares de vignes est maintenant cultivé en agriculture biologique, et je pense que les vins sont aujourd’hui ce qu’Alvaro voulait qu’ils soient. On produit ici 1,2 million de bouteilles, ce n’est pas une petite quantité. Álvaro était ravi de la qualité du 2018 dans la zone Alfaro de La Rioja, où ils sont situés, bien qu’ils aient décidé de ne pas mettre en bouteille Propiedad (il n’a pas été produit en 2014 ou 2016 non plus), essentiellement pour des raisons de marché. Comme dans leurs autres régions, ils ont également décrit 2018 comme un millésime plus «normal» après la chaleur et le gel dans de nombreuses régions en 2017. Même si cela semble répétitif, en 2018, on est revenu aux paramètres d’un millésime d’antan, avec neige en hiver, printemps pluvieux et étés chauds et les vins sont structurés et complets, mais avec beaucoup de fraîcheur et d’élégance, de la finesse et des arômes et des saveurs d’agrumes qui donnent fraicheur et longueur. Ils ont la fraîcheur du millésime 2016 mais avec plus de structure et de puissance. 2019 a été un millésime plus chaud que 2018, très sec, c’est donc une année plus concentrée. Alvaro le considère comme un millésime tout à fait unique. 2018 est une année de finesse et 2019 une année de concentration.

La sélection parcellaire, Quiñón de Valmira est vendue en Espagne sous le nom « Álvaro Palacios Alfaro », plutôt que Palacios Remondo, même si elle est produite dans la même cave et par la même équipe.

Je pense que 2018 sera l’un des meilleurs millésimes pour Álvaro Palacios. Il est rare d’avoir de si bonnes conditions météorologiques dans les trois régions. De plus, bien sûr, la précision du travail de la vigne et de la cave et le savoir-faire et l’expérience de tous les acteurs sont essentiels pour profiter d’une année comme celle-ci.

Bravo à Álvaro, Ricardo et toute l’équipe !

Article écrit par Luis Gutierrez pour le Wine Advocate

Traduction de Claude Gilois et Jean-luc Soubie