Le Millésime

Dans sa vidéo de présentation, Chris Alheit revient longuement sur le millésime 2024, qu’il place d’emblée parmi les toutes meilleures années qu’ait connues le domaine. Après deux millésimes déjà très solides, 2024 complète une séquence de trois années consécutives de très haut niveau – une situation rare dans la vie d’un vigneron.

Le contexte, pourtant, n’a pas été simple. Sur la ferme de Nuwedam, au Paardeberg, une grosse tempête en septembre 2023 est venue frapper en pleine floraison. Cette période étant décisive pour la nouaison, les rendements y ont été dramatiquement réduits : sur certaines parcelles, on a frôlé la demi-tonne à l’hectare, là où le domaine espère habituellement une trentaine de tonnes sur la propriété entière. Le coût de production s’envole, les volumes chutent, mais la qualité des baies, elles, reste exceptionnelle.

Plus au nord, sur Skurfberg, la situation a été plus clémente : les rendements y sont restés faibles mais non catastrophiques, offrant des raisins d’une concentration naturelle remarquable. Dans les vignobles plus frais du sud, comme Hemel-en-Aarde, 2024 se distingue aussi de 2023 : moins de pluies en fin de saison, peu ou pas de botrytis cette fois, et des maturités atteintes à des degrés modérés, soutenus par des acidités élevées.

Chris insiste sur le fait qu’il n’existe aucune « recette » pour ce type de vinification minimaliste. La philosophie de la maison – interventions réduites, élevages patients et respect strict des terroirs – met le millésime à nu. Le vin n’a nulle part où se cacher : il traduit sans filtre la saison et le lieu. C’est justement cette honnêteté radicale qui rend 2024 si enthousiasmant. Le vigneron se dit à la fois très confiant et profondément reconnaissant : confiant, parce que les vins lui paraissent, à tous les niveaux, au moins du calibre de leurs meilleurs millésimes passés ; reconnaissant, parce que la fidélité des amateurs, leurs retours directs et leur choix de ces vins parmi tant d’autres grands domaines, donnent un sens tangible à ce travail.

En résumé, 2024 est un millésime de très faible rendement et de très haute qualité. « Il n’y a pas beaucoup de vin, mais le peu que nous avons est vraiment quelque chose », résume Chris.

Les Vins

« Hereafter Here » reste la cuvée dédiée aux jeunes vignes du domaine et aux vignobles de partenaires soigneusement sélectionnés. C’est un lieu d’accueil pour les parcelles en devenir – y compris de jeunes chenins en sec susceptibles de rejoindre un jour Cartology lorsque l’âge aura fait son œuvre. En 2024, le vin apparaît particulièrement bien élevé en termes de personnalité : nez d’agrumes et de poire, avec une petite touche terreuse, et une bouche douce, subtile, presque discrète. Il ne cherche pas à voler la vedette, mais offre une présence sereine et raffinée à table. Un Chenin à la fois accessible et sérieux, au rapport qualité-prix très convaincant.

« Cartology » est, une fois encore, l’un des grands sommets de la gamme. La structure de l’assemblage évolue légèrement : la majeure partie de Nuwedam, au Paardeberg, ayant été absorbée par Fire By Night en raison des rendements extrêmes, Cartology contient un peu moins de Paardeberg que d’habitude. La proportion de Sémillon remonte à 10 %, tandis que Skurfberg et la côte ouest occupent une place importante dans l’assemblage de Chenin. Le nez se montre éclatant, combinant agrumes acidulés, poire mûre et herbes fines. Le palais, juste au-dessus de 13 % vol., est à la fois puissant et extrêmement énergique, porté par une acidité vive et une densité sans lourdeur. Chris place ce 2024 au niveau de 2017 en termes de qualité brute, avec un style un peu plus robuste, marqué par le sable rouge et le schiste. C’est, selon lui, l’un des meilleurs Cartology jamais mis en bouteille.

« Fire By Night » incarne plus que jamais la beauté austère du Paardeberg. Les vignes de Nuwedam (plantées entre 1971 et 1985), touchées de plein fouet par la tempête de floraison, ont donné des rendements microscopiques, mais un jus d’une intensité rare. Le vin est décrit comme sauvage, tranchant, extraordinairement rafraîchissant : faible en alcool, mais étonnamment dense, avec une grande acidité, un profil d’agrumes verts, une amertume noble de zeste et ce caractère de citron un peu « vert » si typique du granit du Paardeberg. Chris n’hésite pas à dire qu’il s’agit probablement de son Fire By Night préféré à ce jour – un ambassadeur puissant du terroir, hélas en volume infime.

« Nautical Dawn », issu d’un vieux Chenin de 1978 sur une colline granitique au sud de Stellenbosch (côte de False Bay), retrouve en 2024 une position de tout premier plan. Après un 2023 qu’il jugeait « simplement » très bon à l’échelle de la cuvée, Chris estime que ce 2024 est sans doute le meilleur Nautical Dawn qu’ils aient produit. On y retrouve la grâce habituelle du site : fruits jaunes lumineux, charme immédiat, bouche saline et iodée, portée par la tension du granite, mais avec une texture ample et un côté maritime très distinct. Le vin donne l’impression que tout est facile, tant l’équilibre entre gourmandise, salinité et fraîcheur est naturel.

« Huilkrans », en provenance des contreforts nord du Cederberg (Skurfberg), poursuit l’affirmation de ce site comme l’un des grands terroirs de chenins secs du Cap. Les vignes, majoritairement âgées de 40 à plus de 50 ans, ont donné un vin très expressif, au nez de fleurs d’agrumes et de jus d’orange, traversé de nuances épicées. Le palais est plein, structuré, avec une acidité sérieuse mais parfaitement intégrée. Le degré reste modéré (un peu au-dessus de 13 % vol.), ce qui place le vin dans une zone d’équilibre idéale pour ce terroir : puissance, mais sans excès de poids, avec une finale droite, portée par une énergie confiante.

« Magnetic North », issu de vignes de Chenin non greffées, plantées à environ 540 m d’altitude sur une crête dominant l’Atlantique, confirme son statut de vin à part dans la gamme. Le matériel végétal, une sélection massale sur ses propres racines, et la combinaison altitude–brumes matinales–nuits fraîches, donnent un vin que Chris décrit comme « différent » dans sa façon de se déployer. Le nez, subtil, évoque le pamplemousse, le thé de rose glacé, parfois une touche poivrée. La bouche, en revanche, est un véritable feu d’artifice : grande densité, allonge impressionnante, avec cette sensation d’« écho » en fin de bouche, comme une onde qui prolonge la saveur. 2024 rejoint, voire égale, les plus grands millésimes de ce vignoble singulier.

« Monument Sémillon » fait son retour sur 2024, après une absence en 2023. Le vieux vignoble (officiellement 1936, probablement plus ancien) a donné suffisamment de matière de très haut niveau pour justifier une mise à part, malgré des volumes minuscules. Le vin mêle mandarine, herbes fines, amande amère et un léger registre cireux au nez. En bouche, la texture est ample, enveloppante, mais gardée vive par une fraîcheur discrète. C’est un vin de confort, que Suzanne Alheit compare à un grand canapé en cuir : on s’y installe, on s’y repose. Un morceau de patrimoine capetonien en très petite quantité, soumis à une allocation très stricte.

« Hemelrand Vine Garden » , enfin, marque un retour à une expression plus pure et énergique après le 2023 marqué par le botrytis. Sur les hauteurs fraîches de Hemel-en-Aarde Ridge, les cépages co-plantés ont atteint une maturité juste, avec un degré légèrement au-dessus de 13 % vol. et une acidité élevée. Le nez associe jus de citron vert, abricot, fruits exotiques discrets et une touche poudrée. La bouche conjugue une sensation d’eau de montagne très pure à une matière enveloppante et une finale longue, claquante. Chris voit dans ce millésime un Hemelrand particulièrement apte à la garde : délicieux dès aujourd’hui pour sa fraîcheur éclatante, il devrait gagner en complexité et en harmonie après quelques années de repos en cave.