Votre histoire familiale est profondément liée au Douro et sa production de Porto. Quand vous avez repris le domaine à la fin des années 80, qu’avez-vous souhaité faire ?

Lorsque j’ai pris la relève de mon père en 1988, nous avons cessé de vendre des raisins à la coopérative et commencé à produire notre propre Porto. Le rêve était de rétablir la Quinta de la Rosa et notre famille en tant que producteurs de porto. J’avais un MBA de l’INSEAD en poche, et j’ai fait un prévisionnel en pensant qu’il serait facile d’atteindre le seuil de rentabilité en 5 ans… Ce fut bien plus difficile que cela, car j’avais sous-estimé la difficulté de se faire reconnaitre comme marque de porto. Le marché était (et est toujours) dominé par les grandes sociétés traditionnelles. Nous n’avions pas d’importateurs, pas de stock de vieux portos, et en 1990, nous n’avions qu’un seul porto Vintage 1988 à vendre. Ce n’était même pas une bonne année pour le porto Vintage ! Nous avions tous les frais d’exploitation du vignoble. Heureusement, j’ai réussi à réunir 250 000 € grâce à un groupe de 200 personnes qui ont acheté « en primeur » de futures caisses de nos portos. C’était une aide importante et, en 1988, les prix étaient très élevés !

En 1990/91, nous avons été parmi les premiers à commencer à produire et à commercialiser nos vins tranquilles. Cela a considérablement amélioré les flux de trésorerie, car il faut moins de temps pour produire un vin qu’un porto (un LBV prend 4 à 6 ans, un Tawny de 10 ans plus de 10 ans !). David Baverstock, un viticulteur australien qui avait compris le potentiel des vins du Douro (il élaborait du porto pour Symington), nous a aidés. Comme nous n’avions pas d’argent, nous avons collé des étiquettes en noir et blanc à la main (je me souviens que ma mère collait les étiquettes plus haut que moi sur les bouteilles…). Nous n’avions pas d’importateur et nous avons envoyé quelques échantillons à quelques professionnels londoniens. Immédiatement, le vin a été commandé par plusieurs restaurants et cavistes. Nous avons alors réalisé que nous avions un joli potentiel avec nos vins. Depuis ce moment-là, nous avons continué à produire du vin, qui représente aujourd’hui plus des deux tiers de notre production.

Nous avons fait beaucoup d’erreurs au cours de ces premières années et nous avons rencontré de nombreux problèmes administratifs. C’était un cauchemar ! À ce moment-là, ma priorité était de garder le vignoble dans la famille, de le rendre autosuffisant et de ne pas en faire un fardeau financier. Je voulais juste le faire fonctionner suffisamment pour qu’une autre personne de la famille puisse en prendre la direction plus tard. Ce domaine a été offert à ma grand-mère comme cadeau de baptême en 1906 ! C’est ma maison et je l’aime. Aujourd’hui, Kit, mon fils, travaille avec moi et Mark, mon autre fils, s’occupe du marketing et de la conception graphique. Ma fille souhaite également s’impliquer. J’ai donc réalisé mon rêve…

Pouvez-vous nous préciser l’endroit où vous êtes et nous présenter ses spécificités ?

Nous avons beaucoup de chance avec notre emplacement. Nous sommes proches de la ville de Pinhão, ce qui facilite les visites et la plupart des gens qui visitent le Douro passent devant notre vignoble. Nous possédons le vignoble le plus emblématique du Douro, avec certaines des plus hautes terrasses en pierres sèches du site « Vale do Inferno ». On ne peut pas les manquer en descendant le Douro.

D’un point de vue viticole, nous bénéficions du soleil du matin, qui est plus frais et brûle moins que le soleil de l’après-midi. Nous disposons de vignobles présentant de nombreux aspects et altitudes différents, ce qui nous permet d’élaborer de petits lots et des assemblages à partir de parcelles spécifiques. Cela s’est avéré très important pour l’assemblage des vins de Porto.

Nos vignobles sont étagés de la rivière jusqu’à 600 mètres d’altitude. Nous avons des vignes orientées au nord où nous avons récemment planté de l’Alvarinho ainsi que d’autres cépages blancs typiques du Douro (Viosinho, Codega, Rabigato, Arinto). Les sols schisteux nous donnent l’incroyable fraîcheur et l’acidité que l’on retrouve dans nos vins et nos portos. Nous commençons à peine à explorer le véritable terroir du Douro. C’est une époque passionnante pour les producteurs de vin !

Quels sont les impacts que vous subissez avec le changement climatique ?

Il est encore trop tôt pour savoir ce que le changement climatique nous réserve. Une chose est sûre, nous relevons des températures extrêmes en été. Cela ne dure parfois que quelques jours, mais lorsque les températures dépassent 40 °C, le vignoble en souffre vraiment. Nous cherchons des moyens de protéger la vigne et de la rendre plus forte. Étrangement, nous ne semblons pas manquer de pluie. Il a beaucoup plu au cours des six derniers mois ! La région du Douro est sèche mais tant que nous avons les pluies d’hiver, les racines profondes de la vigne l’aideront normalement à survivre pendant les années plus sèches. Le vrai problème est un pic soudain de températures estivales élevées. L’été dernier, alors que l’Italie et la Grèce souffraient de longues vagues de chaleur, notre été a été normal jusqu’à l’avant-dernière semaine d’août. Les températures dans le Douro Superieur ont atteint 50°C pendant quelques jours. Les vignobles les plus jeunes ont davantage souffert. Les vignobles plus anciens, avec leurs racines profondes, peuvent mieux faire face à ces fluctuations de température.

Nous investissons dans les vignobles pour aider la vigne et la protéger. Nous revenons à la taille en guyot plutôt qu’en cordon. La plupart des vignobles du Douro sont passés à la taille en cordon il y a 20 ans, car elle est plus facile à pratiquer et facilite la mécanisation. Mais nous constatons que la vigne subit beaucoup de stress et que la taille en guyot la protège davantage. Nous recommençons également à planter les porte-greffes américains sur place plutôt que d’acheter des vignes déjà pré-greffées dans les pépinières. Nous constatons qu’en laissant les pieds américains environ deux ans développer leurs racines avant de les greffer, ils sont ensuite beaucoup plus résistants face au stress des maladies et des pics de température.

Dans des situations comme celle-ci, il est essentiel de vendanger chaque vignoble et chaque cépage au bon moment. Parfois, quelques jours de retard peuvent faire toute la différence. Trop tôt, les raisins sont verts et n’ont pas la maturité phénolique, trop tard, ce sont des raisins secs. Il est important de bien connaître ses vignobles et nous avons la chance que Jorge Moreira, notre œnologue qui travaille avec nous depuis plus de 20 ans, les connaisse par cœur. Nous sommes également petits et flexibles, ce qui nous permet d’arrêter et de recommencer la vendange en fonction de la maturité des raisins. Pour les grands vignobles, une fois que les vendanges ont commencé, elles doivent continuer.

Il est difficile de dire quel est l’impact du dérèglement climatique sur la qualité. Nous continuons à produire d’excellents vins malgré ces difficultés. L’année 2020 a été une petite année en raison de la déshydratation, mais nous avons produit un excellent porto millésimé. L’année 2021 a été fabuleuse pour nos vins rouges et blancs. Les années 2022 et 2023 ont été plus difficiles, avec beaucoup de pluie pendant les vendanges de 2023. Le rôle de Jorge est alors essentiel dans ces années-là.

Comment voyez-vous l’évolution de vos styles de vin et que recherchez-vous ?

Nos portos ont toujours été très élégants et secs. Le porto doit avoir un taux d’alcool compris entre 19 et 21 %, nous ne pouvons donc pas produire de portos à faible taux d’alcool. D’une manière générale, le style de nos portos restera le même.

Pour nos vins, nous produisons des vins avec moins d’extraction et un style plus léger. Nous produisons beaucoup plus de petites cuvées axées sur le terroir ou le cépage, parfois limitées à 2 000 bouteilles. Nous produisons également des vins moins alcoolisés lorsque c’est possible – nous venons de lancer 2000 bouteilles de La Rosa Leve, un vin à 11,5 % d’alcool ! Nous avons toujours utilisé peu de chêne et continuerons ainsi. Nos vins blancs suscitent de plus en plus d’intérêt. Si une cuvée est inférieure à 1500 litres, elle n’est pas mise en bouteille et nous la servons seulement dans notre restaurant. C’est ce que nous appelons « de la vigne au verre ».

Nous proposons aujourd’hui 2 nouvelles cuvées : le Dourosa et le Tawny 10 ans. Pouvez-vous nous présenter ces deux cuvées avec des accords culinaires ?

Le Dourosa est un merveilleux vin rouge au style plus léger. Il est très polyvalent, tout comme le vin rouge de notre domaine, et peut être associé à de nombreux mets, des plats de poisson comme le cabillaud à la plupart des viandes. En été, il se marie bien avec les barbecues et les viandes grillées. Servez le un peu frais pendant les mois d’été !

Le Tawny 10 ans était le Porto préféré de mon père. C’est un « dessert liquide ». Il peut être bu seul. Dans un restaurant de Londres, il est proposé avec une tarte au chocolat et à l’orange. Il se marie également très bien avec le pastel da nata et une sauce au café que nous servons dans notre restaurant. Il est parfait pendant les mois d’hiver avec les desserts de Noël, comme les fruits secs, ou alors servi frais en été. Conservez-la au réfrigérateur !