Parler de Tacama, c’est retracer l’histoire viticole du pays et même de l’Amérique du Sud.
Pouvons nous faire un retour en arrière pour comprendre comment la vigne est arrivée au Pérou ?

TACAMA est le premier vignoble d’Amérique du sud !
Il a été créé dans la vallée d’Ica au Pérou au milieu du 16ème siècle.
C’est Francisco de Carabantes, qui a apporté la vigne depuis l’Espagne et les îles Canaries, qui a créé le vignoble de Tacama dans les années 1540.
A partir de là la vigne s’est répandue au Chili et en Argentine. Ce fait historique est signalé par le chercheur José del Pozo dans son livre “Histoire du vin chilien”, publié en 1998 à Santiago du Chili aux éditions Universitaria.

Tacama Winery, Ica

La célèbre historienne péruvienne María Rostworowski raconte dans son livre “Côte péruvienne Préhispanique” que les terres sur lesquelles se trouve le vignoble de Tacama à Ica (un oasis à 300 km au sud de Lima) furent conquises par les quechuas de Cuzco (dont les nobles étaient les Incas) 100 ans avant l’arrivée des Espagnols.
L’Inca réservait ces terres pour la culture sacrée de la coca.
Après l’arrivée des Espagnols ces terres furent transférées d’un monarque à l’autre et devinrent la propriété de la Couronne Espagnole. On peut noter que malgré ce changement de propriétaire, les produits de ces terres (coca puis raisins) ont continué à servir ceux que leurs sujets considéraient comme le Dieu unique.
Au 16ème siècle fut créé le vignoble de Tacama avec pour objectif originel d’approvisionner en vin les divers ordres religieux de la fraichement établit “Ville des Rois” : Lima, capitale de la vice-royauté du Pérou. D’un point de vue plus terre à terre (mais non moins important), sa consommation fut associée depuis lors à la santé et une meilleure qualité de vie, en évitant de nombreuses maladies.
Plus tard, au début du 17ème siècle, une mesure protectionniste de la Couronne Espagnole a interdit les exportations de vins péruviens, impulsant ainsi sa distillation. Ainsi est apparu le Pisco, eau-de-vie de raisin péruvien par tradition, comme une alternative pour le vitiviniculteur péruvien.

Au 19ème siècle, le Pisco avait atteint une telle expansion que dans l’Inde lointaine Rudyard Kipling le mentionna dans ses poèmes et romans. Durant la fièvre de l’or en Californie (années 1850), Tacama exportait ses produits vitivinicoles à San Francisco, lieu où devint à la mode le cocktail “Pisco Punch”.

Dès le 19ème siècle, le Pisco de Tacama obtint d’importantes récompenses.

En 1889 Manuel Pablo Olaechea Guerrero acquiert le vignoble et la cave de Tacama. Plus tard en 1920, après la première guerre mondiale, Tacama débute ses contacts avec la technologie française en important barriques et équipements, puis embauche des techniciens français. C’est le début de la rénovation du vignoble avec l’introduction de cépages importés de France. C’est également le premier effort pour produire des vins avec les techniques modernes de l’époque.
Dans cette ligne, en 1962 Tacama signe un contrat avec l’ingénieur agronome français Niederman. Il élève la qualité des produits et, à partir de cette date, les plus grands experts français – autorités mondiales de l’élaboration du vin – deviennent les conseillers de Tacama. Ils voyagent constamment en période de vendanges à Ica. Les professeurs Emile Peynaud, Pascal Ribéreau-Gayon, Pierre-Louis Teissèdre ainsi que les experts viticoles Max Rives et Alain Carbonneau ont collaboré et maintenu une communication constante entre la vigne, la cave et les techniques modernes de production.

Comment, en 500 ans, le vignoble de Tacama a t il évolué et grandi ?

Les propriétaires actuels de Tacama (la famille Olaechea) ont acquis le domaine en 1889. Il appartenait avant à des moines augustins.
Dans les années 1960, le domaine s’étendait sur 900 hectares cultivés en vignes mais aussi en coton et en maïs. La réforme agraire de 1975 s’est traduite par une expropriation massive. Seuls 150 hectares ont pu être sauvés et à partir de cette date Tacama n’a cultivé que de la vigne pour ses vins et ses Piscos.
Depuis la fin des années 1990 Tacama a racheté petit à petit certaines parcelles perdues. Aujourd’hui la propriété fait 257 hectares dont 185 plantés en vignes. Une partie pour les vins, le reste étant consacré au Pisco, produit qui a le vent en poupe à l’export.

Cépages blancs : Avant les années 60, c’était Sauvignon, Sémillon et Chenin. Robert Niederman a expérimenté un grand nombre de cépages. Au début des années 2000 Tacama avait également du Maccabeu et de l’Ugni blanc.
Petit à petit nous avons éliminé les cépages fragiles ou trop peu acides et effectué encore de nombreux essais. Finalement nous élaborons aujourd’hui nos vins blancs secs principalement à partir de Sauvignon, Chardonnay, Viognier et même Arrufiac.
Nous avons conservé un peu d’Ugni blanc, de Chenin et même du Colombard pour nos effervescents. Les autres cépages (Roussanne, Courbu, Bourboulenc et d’autres) se sont perdus en route…

Cépages rouges : D’avant les années 60 nous conservons de belles parcelles de Malbec. Les Petit Verdot et Tannat furent les belles surprises des années 80.
Cabernet-Sauvignon, Cabernet franc, Syrah, Mourvèdre et d’autres ont été essayé sans résultat probant. Par contre Carmenère et Alicante Bouschet, importés en 2008, ont vite donné satisfaction.

Etant dans un désert côtier, il y a très peu de précipitations (entre 0 et 30 mm). On irrigue donc soit avec l’eau des puits (nappe phréatique à 35-40 m de profondeur) soit avec l’eau du Canal La Achirana … quand il n’est pas sec !
Il n’y a pas de vrai hiver chez nous, tous les cépages ne perdent donc pas leurs feuilles durant la saison hivernale. Il n’y a pas de véritable levée de dormance des bourgeons, il faut donc provoquer le débourrement avec une hormone.
Le soleil est présent toute l’année. Les maximales sont de 32-34ºC en été, avec des minimales de 15-17ºC, ce qui offre une belle amplitude thermique. Les jours sont courts permettant une maturité lente.

Les sols sont composés, en proportions équilibrées, d’argile, de limons et de sables. Ils sont parfaitement adaptés au système d’irrigation ancien, à savoir l’inondation périodique de “pozas”.
A noter que les parcelles acquises depuis 20 ans plus proches de la rivière Ica sont plus sableuses.
C’est un système d’irrigation qui a fait ses preuves et permis à Tacama de développer la viticulture pendant des siècles. Ce fut un atout déterminant aussi pour toutes nos parcelles francs de pieds face au phylloxéra. Cependant la consommation en eau est très importante.
A partir de 2007, nous avons donc reconverti petit à petit le vignoble vers un système d’irrigation goutte à goutte. Aujourd’hui 75% du vignoble est irrigué ainsi. On économise au moins 60% d’eau. On gagne aussi en précision (irrigation et fertilisation exactes), en homogénéité à la parcelle et en gestion du stress hydrique idéal pour chaque parcelle et chaque type de vin.

Ica a souffert d’un fort tremblement de terre en 2007. A Tacama heureusement, nous n’avons pas eu de pertes humaines à déplorer. Mais les structures de la cave ont été en parties abimées. Ce fut un mal pour un bien puisque nous avons alors pu construire une nouvelle cave en intégrant certains grands principes:
– Moins de mouvement des moûts et vins (cave plus compacte qu’avant)
– Moins de pompages
– Utilisation de la gravité avec un tunnel qui monte et refroidit en même temps les cagettes de vendanges
– Ligne de réception mobile que nous installons sur la cuve du jour. Ainsi les raisins récoltés à la main, refroidis, éraflés, triés et foulés tombent directement dans la cuve sans subir le moindre pompage
Et plus globalement nous avons alors modernisé nos équipements : pressoirs pneumatiques pour les blancs, pressoir vertical Bücher JLB pour les rouges, tables de tri, plus grande capacité de froid.

En 2015 Tacama a investi dans l’oenotourisme avec, entre autres, un excellent restaurant, des visites guidées et dégustations variées adaptés aux 150.000 personnes que nous recevons chaque année. Nous avons intégré à ce projet d’oenotourisme un chai à barriques souterrain à la température et à l’humidité contrôlées.
Nous remplissons également les barriques par gravité avec une connexion de la cave à travers le toit du chai souterrain.

Depuis un siècle, Tacama travaille en étroite collaboration avec des œnologues et professeurs français. Comment ce partenariat se déroule-t-il ?

Effectivement les propriétaires de Tacama ont commencé en 1920 à importer des équipements français et à embaucher des techniciens français.
Comme d’autres ingénieurs agronomes français avant lui, Robert Niederman est arrivé à Tacama pour les vendanges de 1961. Il a également dirigé les vendanges 1962 avant de s’installer définitivement en 1963. Il fut ainsi le premier ingénieur agronome – oenologue français de Tacama.
Il a vite recherché les conseils d’Emile Peynaud pour les vinifications et de Max Rives (directeur de la station de viticulture de l’INRA à cette époque) pour la viticulture. Tous deux feront de nombreux voyages à Ica des années 60 aux années 80.
Robert a souvent compté sur (et formé) de jeunes agronomes et/ou oenologues français comme par exemple Philippe Dhalluin de 1982 à 1985 ou Jean-Luc Di Florio (1985-1988). Je suis son dernier élève. Robert a été mon chef et mon mentor (de 2000 à 2007 année de sa retraite) et en parallèle, mon “grand-père”, mon ami et mon témoin de mariage (ça fait beaucoup!) jusqu’en 2017 année de son décès.
Après Emile Peynaud, Tacama a pu compter sur les conseils de Pascal Ribéreau-Gayon (1995-2006) et depuis 2007 sur l’aide précieuse de Pierre-Louis Teissèdre.
Nous sommes régulièrement en contact par mail pour des points de détails techniques et Pierre-Louis vient au Pérou chaque mois de Juin pour évaluer l’ensemble du millésime et réaliser les nombreux assemblages. Chacune de ses visites me fait sentir comme un jeune étudiant stressé avant l’examen!
A la vigne nous avons eu la chance de recevoir plusieurs fois mon ancien professeur de viticulture Alain Carbonneau. Ce fut tout particulièrement important pour nous guider (avec Hernan Ojeda, spécialiste su stress hydrique) lors des premières reconversions de parcelles au goutte-à-goutte.

Nous proposons deux cuvées : le Gran Tinto, qui est un assemblage de Malbec, Petit Verdot et Tannat, puis Seleccion Especial Petit Verdot. Comment sont élaborés ces vins et quelles sont leurs typicités ?

Le Malbec est présent à Tacama depuis très longtemps. Nous maintenons encore des parcelles plantées franc de pied il y a plus de 60 ans. Elles entrent dans la composition du Gran Tinto. A partir de 2008 nous avons importé de France des nouveaux clones de Malbec au profil plus fruité et frais. Ils participent aussi à l’assemblage du Gran Tinto.
Les premières boutures de Tannat et Petit verdot ont été importées au début des années 80. Robert leur a vite reconnu un potentiel supérieur par rapport aux cépages rouges du moment à Tacama (Cabernet-Sauvignon, Merlot…). Aujourd’hui Malbec, Tannat et Petit verdot dominent notre encépagement en rouge et donc la composition de notre Gran Tinto.
Au sein de chacun de ces 3 cépages nous bénéficions d’une belle diversité et complexité puisque nous travaillons encore de vieilles parcelles franc de pieds irriguées par gravité (inondation de “pozas”). Celles-ci se combinent parfaitement avec des parcelles plus récentes (10-15 ans) greffées et irriguées au goutte à goutte. Au moment de réaliser les assemblages cette diversité et celle des sols (francs – équilibrés au coeur du vignoble, plus sableux sur les parcelles proches de la rivière Ica acquises ces 20 dernières années) offrent à Pierre-Louis beaucoup de possibilités.
Le vignoble de Tacama est situé à 300 km au sud de Lima. Le climat est celui d’un désert côtier.


Le soleil est présent pratiquement tous les jours de l’année et il fait chaud (maximales de 32-34ºC tout l’été). On pourrait ainsi craindre que les vins de la région soient marqués par une maturité excessive. Mais nous bénéficions de plusieurs gros avantages:
– Le courant froid de Humboldt. L’océan Pacifique se trouve à 40 km seulement. Et la présence de phoques démontre qu’il est froid et qu’il garantit des nuits fraiches et une belle amplitude thermique (minimales de 15-17ºC en été) sur notre vignoble!
– La proximité de l’Equateur (Ica: 14º de latitude sud) explique que les jours sont relativement courts en été. En pleines vendanges, à 18h15-18h45 il fait déjà nuit.
– Un encépagement qui a évolué vers des cépages tardifs, de maturité lente. C’est spécialement le cas des Petit verdot et Carmenère.
Les maturités ne sont donc pas trop rapides et nous permettent de maintenir une certaine fraicheur et une belle complexité dans nos vins.
Pour illustrer cette évolution lente des raisins je me rappelle toujours de Patrick Ducourneau à Madiran. Quand j’ai su que j’allais être embauché par Tacama et que ce vignoble disposait de Tannat j’ai pris la route de Madiran pour discuter de ce grand cépage avec ceux qui savent… Patrick Ducourneau m’avait très gentiment reçu et m’avait donné quelques précieux conseils dont celui inapplicable ici de ne pas récolter avant 140 jours depuis le débourrement. Il y voyait un risque trop élevé de tanins durs et astringents. Ici en fonction du millésime, des différents clones et du système d’irrigation (cycle plus court en goutte à goutte) on vendange entre 160 et 180 jours après le débourrement!
A Tacama nous vendangeons tous nos raisins manuellement dans des petites cagettes de 13 kg. Ils sont transportés rapidement par tracteur à la cave située au coeur du vignoble, minimisant ainsi le temps de transport des raisins. Un tunnel incliné permet de les faire monter au-dessus des cuves et de les refroidir à 8-10ºC en 30 min. Sans pompage. Ils sont ensuite éraflés avant de passer sur une table de tri et d’être finalement foulés au-dessus de la cuve inox où ils passeront deux jours de macération à froid avant de fermenter et de macérer. On régule les températures, les remontages et les temps de macération en fonction de l’objectif (chaque parcelle a un potentiel connu et une destination théorique) et des dégustations quotidiennes.
En général les Malbec et Tannat pour le Gran Tinto passent deux jours à froid avant de fermenter à 25-26ºC et de terminer à 18-20ºC pour une macération totale de 14-16 jours.
Les Petit Verdot sont travaillés de façon très différentes s’il s’agit des vieilles parcelles franc de pied ou des “jeunes” parcelles greffées et irriguées au goutte à goutte. Les francs de pieds offrent naturellement des vins plus ronds, moins concentrés mais plus frais et plus “joyeux” (fruits noirs et rouges, notes mentholées). On peut donc fermenter à 27-28ºC et passer 17-18 jours en cuve.
Pour les greffés qui tendent vers plus de structure et une gamme aromatique plus noire (fruits noirs, réglisse) on fermente généralement à 25-26ºC avec des remontages plus doux et surtout on baisse la température à 18ºC sitôt terminée la fermentation alcoolique. On cherche également à apporter plus de complexité en fermentant d’abord avec des levures Torulaspora avant d’inoculer avec des S. cerevisiae.
La durée de la macération est défini par la dégustation. On presse les marcs avec un pressoir vertical hydraulique (Bücher – JLB) et on sépare les fins des presses en fonction de la dégustation de chaque montée en pression. Tous nos vins rouges font ensuite leur fermentation malolactique en cuve béton. Toutes les cuves du millésime (on sépare autant que possible les différentes parcelles) attendent ensuite la venue de Pierre-Louis pour être évaluées et assemblées dans nos différents vins.