La famille Blandy est présente à Madère depuis plus de deux siècles. Comment décririez-vous votre projet aujourd’hui ?
Nous sommes la septième génération. Il s’agit pour nous d’avoir un équilibre entre le respect de notre héritage et le développement de notre entreprise pour assurer et pérenniser l’avenir. Chaque génération de la famille a l’obligation d’essayer de laisser Blandy’s dans une meilleure situation pour la génération suivante.
Pour ceux qui ne connaîtraient peut-être pas très bien la particularité du vin de Madère, pourriez-vous nous le présenter ?
La réponse pourrait être très longue mais je vais essayer de vous faire un résumé…
Notre production est issue d’une très petite île volcanique puisque la superficie totale des vignobles n’est que de 400 hectares. C’est un vin fortifié, ce qui signifie que nous ajoutons donc de l’alcool de raisin en cours de fermentation pour la bloquer. Le taux d’alcool moyen des vins est d’environ 19 %.
Le vin de Madère se divise en fait en quatre styles différents. C’est donc un vin stylistique, le plus souvent en mono-cépage. Il existe quatre styles de vins à Madère représentés par les quatre principaux cépages blancs. Nous avons le Sercial qui est le plus sec, le Verdelho mi-sec, le Bual avec une richesse moyenne et la Malvasia qui est le plus riche. L’éventail des sucres résiduels varie d’environ 45 grammes par litre pour le Sercial à environ 100 à 120 grammes par litre pour la Malvasia.
Pourquoi n’y-a-t-il pas d’assemblages ?
Il y a des assemblages de différentes années à partir du même cépage mais le cahier des charges de l’appellation ne nous autorisait pas à le faire avec différents cépages. Nous avons réussi à faire changer cette loi en 2002. L’un des vins que nous produisons aujourd’hui, le « Reserva cinq ans d’âge » est un assemblage de 50 % de Bual et 50 % de Malvasia.
La vigne est présente dans de nombreux endroits sur l’île. Quelles sont les particularités des différentes aires de production et y-a-t-il des zones plus favorables que d’autres ?
En ce qui concerne le madère, il y a un certain nombre d’éléments qu’il faut avoir en tête quand on souhaite planter un nouveau vignoble. Le type de sol est extrêmement important. Il y a environ six types de sols différents sur l’île et tous ne conviennent pas à la culture de la vigne. Comme Madère est un affleurement volcanique, il y a différentes couches et donc différents types de sol. Il faut donc savoir où se trouve la bonne couche et à quelle altitude elle se trouve.
L’altitude, justement, joue un rôle important puisque nous sommes très impactés par les microclimats et les vents maritimes. Ainsi, pour chaque palier de 100 mètres d’altitude, vous perdez un degré de température. Nous avons donc constaté que, dans le sud, les meilleures zones de culture se situent essentiellement entre le niveau de la mer et 900 mètres d’altitude. La plupart des vignobles sont plantés entre 500 et 600 mètres et les meilleurs terroirs se trouvent dans le sud et le sud-ouest de l’île.
Le processus d’élevage est très spécifique à Madère. Avec le réchauffement climatique, comment cela influence-t-il votre travail ?
Le processus de vieillissement est ce qui définit le madère en tant que vin de Madère. Nous avons des méthodes de vinification que beaucoup de gens dans le monde du vin éviteraient, car nous exposons activement le vin à la chaleur et à l’oxydation. Notre chai, situé dans le centre de la ville de Funchal, où nous produisons nos meilleurs vins, est unique en son genre. Il y a un microclimat très spécifique dans chaque pièce où sont conservés de très vieux fûts en chêne américain de 650 litres. Nous suivons cela grâce à des capteurs de température et d’humidité.
Bien évidemment, le changement climatique a déjà un impact. Nous avons lancé un projet de recherche et de développement pour comprendre les différences de température et d’humidité d’une année sur l’autre. Nous avons déjà constaté une augmentation de deux degrés en moyenne dans nos chais ! Cela peut être considéré comme positif, car plus il fait chaud, plus le taux d’évaporation est rapide et plus la concentration des vins est élevée. Mais d’un autre côté, nous ne voulons pas que les vins soient déséquilibrés. Nous essayons donc toujours de nous assurer que l’acidité volatile, les niveaux de sucre et les niveaux d’alcool restent équilibrés tout au long du processus de vieillissement.
Au cours de vos différentes dégustations vous avez testé nombreux accords mets/vin avec du Madère. Quel est celui qui vous a le plus marqué ?
Je garde en mémoire le souvenir d’une magnifique dégustation avec Jean-Luc Soubie accompagnée d’un vieux Comté de 18 mois, qu’il m’avait apporté à Madère lorsqu’il est venu chez nous il y a quelques années. Nous l’avions associé avec un Madère frais de 10 ans d’âge. Depuis, cet accord est resté ancré dans mon esprit. J’aime également le foie gras avec du verdelho et les fromages bleus avec du boal.
Pendant le Covid, j’ai envoyé un mail à tous mes contacts pour leur demander quel était, selon leur point de vue, le vin le plus polyvalent du monde pour accompagner les plats. Plus de 90% des personnes à qui j’ai demandé, y compris des maîtres sommeliers, de grands journalistes, des Master of Wine ont répondu que le madère était certainement dans le trio de tête en raison de sa polyvalence en termes de style, de ses niveaux de sucre résiduel et, bien sûr, de son acidité. Cela en fait un vin de gastronomie parfait. N’oublions pas non plus qu’en raison du processus d’élevage oxydatif que nous mettons en place, dès que vous ouvrez une bouteille, vous n’êtes pas obligé de la terminer ! Le vin de Madère a cette incroyable capacité à se conserver plusieurs mois après ouverture. J’ai même de vieux millésimes dans ma cave, à la maison, qui sont ouverts depuis deux ou trois ans.