Anselmo, vous qui êtes un vigneron incontournable du Vinho Verde, comment pourriez-vous présenter cette région portugaise si particulière ?

Cette région se distingue par son histoire. Elle a été la première à exporter des vins vers l’Angleterre au XIVème siècle, par l’intermédiaire d’une entreprise anglaise installée dans le port de Viana do Castelo. Ces vins rouges, produits par les bénédictins, suivaient les règles des « clarets » de Bordeaux (région anglaise à l’époque) et des vins rouges de Bourgogne.
Le Vinho Verde a connu deux changements majeurs. Au XVIIIe siècle d’une part, avec le développement massif de la culture de maïs arrivé des Etats Unis, le mode principal de culture était celui des « vignes pendues », en hauteur (jusqu’à 4 mètres !) au-dessus des champs de maïs. Ceci a eu pour effet de rendre les vins presque imbuvables, avec une acidité très élevée et un taux d’alcool très faible. C’est l’origine de l’appellation « Verde » (vert) et, plus tard, de l’appellation d’origine « Vinho Verde ».
L’autre changement s’est produit dans la deuxième partie du 20ème siècle, avec un passage du vin rouge au vin blanc : de 90 % de vin rouge dans les années 1950 à 90 % de vin blanc dans les premières années du 21e siècle.
Notre région possède une orographie très particulière, elle forme un amphithéâtre face à l’océan Atlantique, avec plusieurs vallées le long de ses rivières où poussent les vignobles. Le climat, tempéré par l’influence de l’Atlantique, donne aux vins un profil très distinct. Les sols, principalement d’origine granitique, ont une texture sablo-limoneuse, allant des alluvions dans les vallées proches des rivières aux pentes plus squelettiques et sablonneuses.

Si vous deviez vous décrire, que diriez-vous ?

Je me décrirais comme un visionnaire sans plan ! J’ai été le premier à faire fermenter l’Alvarinho en barriques. Puis, à tenter des fermentations avec les peaux, ce qui était une hérésie en 1999. Les études sur la manière dont les différents sols conditionnent les vins ne sont pas une innovation, mais plutôt une passion pour la terre et son interaction avec les vins produits.

Cela fait plus de 35 ans que vous cultivez l’Alvarinho, comment analysez vous l’évolution de ce cépage dans le temps ?

Dans la sous-région de Monção et Melgaço, au début du 20ème siècle, il n’y avait pas plus de 5 hectares d’Alvarinho plantés, et 100 ans après, nous en avons 1500. Cela montre que tout le monde reconnaît que la variété est bien adaptée au climat influencé par l’Atlantique, et modéré par les montagnes des côtés espagnol et portugais.
L’amélioration des systèmes de conduite et la culture biologique ont contribué à l’obtention de vins frais et corsés, dotés d’une grande structure et d’une forte capacité de vieillissement.

Comme un musicien avec son instrument de musique qui teste toutes les partitions possibles pour le faire vibrer au mieux, qu’avez-vous fait « subir » à l’Alvarinho pour le sublimer ?

Comme tout instrument, ses composants et les matériaux qui les composent sont à la base de son fonctionnement. Dans l’élaboration du vin, ces bases sont le climat, le sol et le cépage. Vient ensuite l’accord de l’instrument, sans lequel il est impossible de jouer ou d’interpréter. Dans l’accord du vin, il s’agit de décider de la taille d’hiver, de la taille en vert, de l’écobuage, de la mobilisation ou non du sol, ce que l’on peut appeler les techniques culturales.
Sublimer le vin, c’est comme créer une œuvre musicale. L’art de la création nécessite beaucoup de connaissances et le respect de l’essentiel des techniques. Le moment de la création doit réunir tout cela de façon harmonieuse. Faire ce dont on rêve et faire rêver ceux qui nous écoutent ou ceux qui boivent notre vin.

Nous proposons deux cuvées, « Contacto » et « Curtimenta », pouvez-vous nous présenter ces deux vins ?

Ces deux vins sont produits à Quinta da Torre, à Monção. C’est notre principal domaine et nous y avons déjà planté 50 hectares d’Alvarinho. Ces deux cuvées sont nées de mon envie d’innover.
Contacto est un Alvarinho sec, minéral et net, avec un fruit subtil et une élégance qui lui est propre. Nous effectuons un court contact avec la peau pendant la macération et, après la fermentation, le vin est élevé sur lies fines, dans des cuves en acier inoxydable, pendant trois mois, avant d’être mis en bouteille et commercialisé. C’est notre vin le plus populaire, qui plaît aussi bien au grand public qu’aux experts.

Le Curtimenta se situe entre l’Alvarinho classique et un vin orange. Il est en contact avec la peau pendant la macération et pendant les 24 à 48 premières premières heures de la fermentation, puis nous retirons les peaux. En raison de ce contact, le vin a un goût légèrement amer d’écorce d’orange, de zeste et des tanins très vibrants. Mais comme nous ne fermentons le vin avec les peaux que pendant une courte période, nous surmontons le caractère réducteur de beaucoup de vins oranges, et rendons le vin plus facile à boire, plus frais, plus élégant, sans perdre son côté funky. Cela a pris du temps, mais il est devenu très populaire récemment, surtout parmi les jeunes.